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Mariage forcé et politique belge
Comme souvent, le dossier politique n'est pas des plus clairs. Quelles sont les actions mises en place et quelles sont les difficultés rencontrées ? Entrevue avec Thérèse Legros et Fatiha Saïdi, deux femmes actives en politique.
© BelgaImage
Thérèse Legros, responsable de la cellule « Droits des Femmes » au cabinet de la ministre Christie Morreale, dénonce les dérives du fédéralisme. Selon elle, la séparation des compétences entre Fédéral et entités fédérées peut freiner l’efficacité des actions mises visant à endiguer le phénomène du mariage forcé. Celles-ci se multiplient en parallèle de la Convention d’Istanbul, sous la forme de sensibilisation du grand public, de protection des victimes et de programmes de formation des professionnels. Un point noir reste cependant le recensement des cas de mariages forcés, comme le rappelle Mme Legros : « On a des difficultés à avoir des chiffres et des études vraiment précises qui permettent d’établir combien il y a de cas en Belgique. C’est difficile à quantifier ».
Dans un contexte plus large, il existe, depuis 2010, des plans fédéraux de lutte contre les violences faites aux femmes au sein du Plan d’Action National. Ils impliquent toutes les entités fédérées et sont revus à chaque législature. La Région wallonne a également son propre plan d’action et est en relation avec le secteur associatif.
Malheureusement, le secteur de la lutte contre les violences faites aux femmes souffre d’un manque de moyens : « nous ne sommes que «deux et demi»* à nous occuper des violences ».
Pour 2020, la Région wallonne dispose de 1.060.000€ pour le soutien au secteur associatif, un montant beaucoup trop faible compte tenu de ses objectifs. « Il faut prendre en compte la formation des acteurs de première ligne [associations, aides aux victimes], la collaboration entre les différents acteurs de terrain et le lien psycho-social, avec le SAJ [Services d’Aide à la Jeunesse] par exemple ».
Fatiha Saïdi, ancienne sénatrice et députée, confirme ce manque de moyens humains et financiers. Elle dégage également un autre problème majeur au niveau du phénomène du mariage forcé, c’est la stigmatisation. Pour l’éviter, il faut travailler le problème dans sa globalité, c’est-à dire « travailler sur la question de l’égalité, et nous n’en faisons pas assez ». Un problème d’autant plus complexe vu le manque d’argent. En débutant en tant qu’échevine de l’égalité des chances en 2012, Mme Saïdi ne disposait d’aucun budget attitré. À la fin de ses mandats, le montant alloué n’était encore que de 10.000€.
Outre la question du financement, il est également très difficile pour les jeunes de parler de cette situation « que ce soit par honte, par souci d’intimité ou de loyauté envers sa communauté ».
C’est d’autant plus difficile d’en parler
puisqu'on a « souvent affaire à des familles aimantes qui veulent ce qui a de mieux pour leur enfant ». Elle rappelle également qu’il ne s’agit « jamais d’une question de religion. Ce n’est pas un prescrit religieux, et ça, il faut le dire clairement. Dans toutes les religions d’ailleurs ».
*Comprendre: deux temps-pleins et un mi-temps.
La convention d'Istanbul
La Convention d’Istanbul est une Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. C’est le premier texte contraignant en cette matière. La Convention prévoit des exigences telles que la sensibilisation du grand public, la protection des victimes ou des programmes de formation des professionnels. Elle a été ratifiée par la Belgique en 2016.